Quand on rebattait la faux sur l'enclumeau !
"LE TEMPS DES FENAISONS...!!"
Juin, c'est chez nous, plus ou moins "à cheval" sur juillet, selon les conditions atmosphériques
la grande période du "fanage" de l'herbe. Dès le début du mois, les herbagers ("sincies" ou "sinciers")
surveillaient le temps, maudissant St Médard (8 juin) si par malheur il pleuvait ce jour là. Il y a
cinquante ans, il n'existait pas chez nous de tracteurs, ni de faucheuses rotatives, ni de presses
ramasseuses. On pouvait presque dire que les foins se faisaient avec les bras des hommes (des femmes
aussi, naturellement) et avec les chevaux.
Avant la guerre de 1914/1948 et même pendant l'occupation ennemie, on fauchait presque partout à la faux. Après la "der des der" presque tous les "sincies" possédèrent une faucheuse mécanique tirée par un ou deux chevaux...
Tôt le matin, entre le 10 et le20 juin souvent, si le temps paraissait clément, éclatait partout le tric-trac
sonore et rapide des faucheuses. A ce bruit, se mêlaient le cliquetis des mécanismes à cliquets, le tintement
des grelots des colliers des chevaux et les cris des conducteurs. Les hautes graminées en fleurs se couchaient
en longs andains alignés.
Le lendemain, si le beau temps continuait, hommes, femmes et même enfants retournaient une première fois à la
fourche les couches d'herbe. Par la suite si le soleil avait séché la masse, on mettait à "despardre" (éparpiller)
les andains avec le même instrument, au moins deux fois dans la journée et même plusieurs jours ! La pluie menaçait-elle ?
On faisait rapidement des "maquets" (petits tas) et dès que le soleil souriait, on étalait de nouveau.
Aussitôt que le "fourrage" déjà odorant gonflait en séchant, les faneurs le travaillaient aves les "rétiaux" de bois puis
constituaient de grosses "roules" qui s'alignaient sur la prairie. Ces dernières opérations devinrent moins pénibles par
la suite pour ceux qui firent l'acquisition d'une faneuse à fourches ou d'une rotative à tambour tirée par un cheval.
La mécanisation était à ses débuts ! On entendait alors les anciens dire : "Ouais ! c'est biau ces engins là mais ça fait
quéyir les feuilles delle triannelle !" (tomber les feuilles du tréfle). Qu'importe, tous y vinrent petit à petit.
"A buriaux, l'fourrage murit mieux éyé passe esse furie" ! (sa fermentation)
Faneuses devant un "buriau".
Quand, après ces multiples manipulations, l'herbe était déjà bien séchée, on édifiait, au "rétiau" des "buriaux". Il
s'agissait de petites meules basses. A cette époque, aucun fermier n'aurait rentré sa récolte au fenil s'il ne l'avait mise
"à buriaux" bien chapeautés. Si la pluie survenait, elle pénétrait peu et, même sans intempéries les herbagers disaient :
Si tout allait bien, un beau jour,après la disparition de la rosée, on culbutait les "buriaux" et on reformait les grandes
"roules" qui finiraient de sécher au soleil et au vent. Au dédut de l'après-midi, les charrettes s'avançaient entre les
longs rouleaux de foin et par grosses fourchées, ce dernier était entassé entre les ridelles. C'était tout un art d'échafauder
"eune belle quérée", haute, large, équilibrée. Souvent les jeunes chantaient. Dès que la voiture était jugée suffisante,
on la peignait tout autour au râteau pour ne rien perdre en chemin. L'énorme chargement, brêlé avec une grosse corde, prenait
la direction de la ferme. Juché sur la masse, assis, celui ou celle qui avait réparti les fourchées, dominait l'équipage,
que suivait les faneurs.
Arrivé à destination, on buvait un peu de café froid. On abreuvait le cheval après l'avoir soulagé en dépliant les "servantes"
sous la charrette. Bras et foutches entraient en danse pour amasser la récolte dans le "maf" (partie du fenil). Les enfants
sautaient allègrement sur ce monticule mouvant et odorant pour le tasser. De temps à autre on jetait du sel gemme sur la couche
de foin.
*
* *
Que de manipulations ! Nous sommes loin de la mécanisation actuelle du fanage où, même le chargement des "bottes" et "ballots"
pressés se fait à l'aide de souffleurs puissants ou d'engrangeurs à griffes. Dans ma jeunesse, j'ai très souvent fané avec
grande joie chez les fermiers voisins. C'était une période très active et fatigante mais tout se passait dans la bonne humeur
si le temps était serein. On partait pour la journée entière, à pied, vers des "pâtures" éloignées... Vers midi, à l'ombre des
charmes ou d'un gros pommier, on se reposait en pique-niquant, installés en cercle autour d'une grande nappe étalée sur le gazon.
Il y avait naturellement des années tristes et de misère, quand la pluie s'éternisait et qu'il fallait brûler les "culs
d'buriaux" noirs et moisis.
Au sommet de la dernière charretée, on arborait toujours "l'oupiau" ("Oupiau" : mis à la "oupe", sommet de la charrette.)
C'était un bouquet de fleurs champêtres que l'on attachait au manche d'une fourche piquée au faîte de la voiturée. En souriant,
je pense à Mme de Sévigné qui s'extasiait en parlant du fanage : "Faner, c'est batifoler" ! disait-elle. Avait-elle vu la
sueur couler sur les visages rougis des faneurs ? Avait-elle remarqué les coups de soleil cuisants sur les bras des
fermières ?
Le grand-père passe "el' grand rétiau"
pour laisser la pâture propre.
De nos jours, c'est encore le branle-bas dès le mois de juin pour la fenaison : tout s'opère vite dans le fracas des tracteurs,
des rotatives, des ramasseuses-presses et des gros "souffleurs" qui mugissent en avalant les ballots ficelés. Mais, On ne voit
plus après l'enlèvement de la récolte d'une prairie, passer le grand-père, trainant derrière lui un immense râteau à longues dents
de fer pour ramasser minutieusement les restes de foin, pour "léyie l'pature bin propre" !